Ci-après, la conférence:
Dans le cadre de la conférence « Quid de l’islamophobie savante? Quelques repères historiques et épistémologiques » organisée, le 13 octobre 2022, par le Département des sciences humaines et sociales de l’Académie tunisienne des sciences, des lettres et des arts, Beit al-Hikma, Gilles Bibeau, professeur émérite au Département d’anthropologie de l’Université de Montréal, a livré un exposé, qui sort des sentiers battus, sur les relations interculturelles entre le monde arabo-musulman et l’Occident, analysant, au passage, les sociétés contemporaines.
La particularité de la communication présentée par le Pr. Gilles Bibeau réside dans son approche socio-historique pour retracer la construction des représentations de l’Islam en Occident. Il remonte le temps aussi loin qu’à l’Andalousie du 16e siècle pour montrer que les représentations des musulmans ont été façonnées au gré des relations entre le monde arabo-musulman et l’Occident, marquées par les passions religieuses et les guerres au nom de la religion.
L’avènement de la pensée critique et la diffusion du savoir au Siècle des Lumières ont conforté les représentations de l’Islam et la construction du « musulman » comme opposées aux valeurs de laïcité et de liberté, si ce n’est leurs ennemies.
Plus tard, l’héritage de la littérature coloniale va entériner l’idée que Bibeau emprunte à Frantz Fanon, figure emblématique de l’anticolonialisme : celui qui est construit par l’Autre -le dominé- intériorise l’image que le dominant lui renvoie de lui-même.
Dans son ouvrage « L’Orientalisme », le penseur américano-palestinien Edward Saïd affirme l’emprise des constructions caricaturales des représentations de l’Orient que l’Occident a érigé à travers de grands ouvrages. A titre d’exemple, dans L’étranger d’Albert Camus, le personnage de l’Arabe qu’on ne nomme et ne décrit jamais autrement que par cette désignation. Les exemples de ce type sont nombreux dans une certaine littérature occidentale.
Bibeau s’attarde aussi sur le centrisme occidental de l’enseignement actuel de l’histoire qui occulte l’apport arabo-musulman dans la transmission de textes philosophiques et scientifiques fondateurs. La pensée européenne en a été profondément influencée.
C’est à travers ce dispositif mental sédimenté que les représentations des musulmans se sont mises en place, avec un lot d’idées préconçues, qui se renforcent par leur transmission et leur validation dans l’espace public. Ces formes d’amalgames et de non-connaissance de l’Autre nourrissent les peurs et les anxiétés et vont, alors, se fixer sur des personnes qu’on jugera indésirables et contre lesquelles on voudra lutter.
Pour déraciner ces traumatismes, Gilles Bibeau croit qu’il faut avoir le courage et la lucidité de remonter l’histoire à rebours pour déconstruire ces représentations afin de construire de nouvelles bases pour le vivre ensemble.
Revue de presse
جريدة المغرب الالكترونية: 2022/10/17