Deux conférences autour du thème de la Révolution ont été tenues, le 17 juin 2022, à l’Académie tunisienne des sciences, des lettres et des arts, Beit el Hikma.
La première conférence, intitulée « Ecrire la Révolution tunisienne », a été présentée par l’académicien et spécialiste en Droit public, le Pr Yadh Ben Achour, qui a appelé à étudier et à analyser la Révolution tunisienne dans sa singularité, son déroulement et son archéologie interne, tout en l’inscrivant dans l’histoire et l’archéologie externes.
Le Pr Ben Achour s’est attelé à expliquer que l’accord sur le concept de révolution, c’est-à-dire ses critères et ses composants, est seul capable de délimiter ce qu’on pourrait appeler la science des révolutions. Cette science est à même de fournir des éclairages nécessaires à la compréhension de la Révolution tunisienne, ce qui constituera un enrichissement de la science des révolutions. Toutefois, cette science ne manque pas d’écueils, eu égard au caractère subjectif et mouvant de l’objet d’étude. Le conférencier a rappelé que, contrairement à l’objectivité et à la rationalité des sciences exactes et technologiques, les sciences citoyennes paraissent insoumises à une interprétation historique innocente ; le concept de révolution étant lui-même un concept émotionnel.
Cette difficulté, particulière à l’analyse des révolutions en sociologie, a été au cœur de la deuxième conférence « Qu’est-ce qui change en temps de révolution ? », présentée par le Pr Federico Tarragoni, sociologue et maître de conférences HDR à l’Université de Paris.
Le Pr Tarragoni a exposé la charge extrêmement polysémique et polémique du concept de révolution. Il demeure difficile de définir avec exactitude les discontinuités sociales, politiques et historiques inhérentes aux révolutions, surtout, lorsque l’analyse est effectuée dans leur production contingente, comme c’est le cas pour les révolutions actuelles. Bien que l’histoire des révolutions, dans ses développements récents, livre au sociologue une méthode rigoureuse pour aborder les révolutions du temps présent, l’entreprise n’en demeure pas moins délicate. Le conférencier a cité trois illusions qui sont en mesure de biaiser la conceptualisation de la révolution : l’illusion idéologique, l’illusion téléologique et l’illusion étiologique.
Résumé :
Les écrits sur la révolution tunisienne du 14 janvier 2011sont nombreux mais l’Ecriture de la révolution n’a pas encore eu lieu. Quelles sont les conditions et les exigences de cette écriture ? J’avais formulé la première en 2016 « Cette révolution dans le futur doit faire l’objet de profondes et nombreuses analyses et des chercheurs viendront creuser les tranchées de l’histoire pour encore mieux éclairer les tenants de la Révolution tunisienne. Elle est pleine d’enseignements nouveaux et inédits pour l’analyse du phénomène révolutionnaire… » . Il s’agit par conséquent de révéler la révolution dans sa singularité, son déroulement et son archéologie interne. Mais cela n’est pas suffisant. L’écriture étant bel et bien une inscription, cela suppose que la révolution tunisienne soit inscrite conceptuellement et historiquement dans l’ensemble du phénomène révolutionnaire. Nous nous déplaçons ici vers l’histoire et l’archéologie externes, seules à même de nous configurer le concept de révolution, c’est-à-dire de dégager sescritères et ses composants. L’accord sur le concept est seul capable de délimiterce qu’on pourrait appeler la science des révolutions. Cette science fournira des éclairages nécessaires à la compréhension de la révolution tunisienne et cette dernière, dans sa singularité, enrichira la science des révolutions.
Biobibliographie du Pr. Federico Tarragoni :
Federico Tarragoni est sociologue, maître de conférences HDR à l’Université de Paris, où il a fondé le Centre de recherches interdisciplinaires sur le politique (CRIPOLIS). Il codirige actuellement le Laboratoire du changement social et politique (EA 7335) et est titulaire de la chaire « Open School of Public Governance » de l’Alliance universitaire européenne Circle U. Ses travaux portent sur les idéologies politiques, les conflits sociaux et les dynamiques de politisation démocratique, qu’il aborde en faisant dialoguer la sociologie, l’histoire et la théorie politique. Il a publié L’Énigme révolutionnaire (Les Prairies ordinaires, 2015), Sociologies de l’individu (La Découverte, 2018), L’Esprit démocratique du populisme (La Découverte, 2019), Émancipation (Anamosa, 2021) et Sociologie du conflit (Armand Colin, 2021). Ses recherches ont été récompensées par le prix Schneider Aguirre Basualdo de la chancellerie des Universités de Paris et par le prix du jeune sociologue de l’Association internationale des sociologues de langue française (AISLF).
Résumé :
Les révolutions, en tant que discontinuités sociales, politiques et historiques, sont des phénomènes particulièrement difficiles à analyser en sociologie. Non seulement celle-ci peine à les définir avec exactitude, en raison notamment de la charge extrêmement polysémique et polémique du concept, mais, surtout, lorsqu’elle les analyse dans leur production contingente, en se penchant sur les révolutions actuelles ou en cours (comme les printemps arabes, par exemple), elle se heurte à un certain nombre d’écueils. Cet article en énumère trois – l’illusion idéologique, l’illusion téléologique et l’illusion étiologique – en montrant que l’histoire des révolutions, dans ses développements récents, livre au sociologue une méthode rigoureuse pour aborder les révolutions du temps présent.